Such a disaster

Ré-ouvrir les yeux sur un monde tel que celui ci après avoir sommeillé ou hiberné quelques temps, appelez ça comme vous voulez, ça désarçonnait grandement. Et même si, pour être né après les années 1950 dans un monde qui commençait déjà à s'emballer à toute allure et où la technologie ne cessait de faire des pas de géants d'année en année, on savait à quel point le progrès et les changements survenaient de plus en plus rapidement, on ne pouvait que rester un peu perdu et désorienté face à la catastrophe qui était survenue. Tous ces fils d'anticipation qu'on avait bien pu voir nous lassait un goût amer lorsqu'on y repensait, car ils étaient tous si en deçà de la vérité, et ils avaient tous le défaut de nous laisser malgré tout la sensation que cela n'arriverait jamais, du moins, pas de notre vivant. Pourtant, Heather était bel et bien vivante, au jour d'aujourd'hui, et elle assistait impuissante à un constat peu reluisant. Aurora Borealis lui avait donc fait un cadeau quelque peu empoisonné, mais là devait sans nul doute permis se trouver la part à payer pour un tel contrat. Les deals ne se font pas sans rien, il y a et y aura toujours une contrepartie. Et en règle générale, c'est quand on s'y attend le moins qu'elle vient se manifester dans notre existence, cette contrepartie. Bien sûr, la jeune femme, à la différence de la très très grande majorité des autres Léthés, comme les Trojans les avaient tous surnommés, avait toute sa mémoire, et elle se rappelait du but de ce projet. De plus, elle n'était pas désorientée à se poser des questions sur elle-même, sur son identité, ou bien sur son passé. Elle, elle avait déjà tous les éléments lui permettant de répondre à ses éventuelles interrogations, alors évidemment, elle avait plus ou moins une longueur d'avance sur les autres Léthés. Mais elle ne s'en vantait pas, parce que ça ne se fait pas, et que ce n'était pas du tout son genre de se réjouir du désarroi des gens. Elle préférait largement leur venir en aide autant qu'elle le pouvait, tout en refusant de trop s'impliquer encore dans leur existence, parce qu'elle n'avait jamais été assistance sociale et qu'elle voulait vivre sa vie sans qu'on ne vienne trop souvent s'y pointer pour demander ça et ça. Elle utilisait son don personnel, celui qu'elle avait développé et qui n'était pas identique pour tous les Léthés, afin d'aider ces derniers à s'échapper un temps soit peu quelques secondes vers des pensées autres que celles rappelant sans cesse à quel point ce monde était parti en l'air total. Mais avec elle, cela ne marchait pas aussi bien qu'avec eux, car elle refusait de trop se berner. Elle préférait largement grimper sur le toit de l'hôtel et contempler les ruines alentours en respirant aussi bien qu'elle le pouvait, et ce même si le spectacle était affligeant et démoralisant.

On accédait à cette partie de l'hôtel servant de lieu de vie aux Léthés en grimpant les escaliers jusqu'au dernier étage de la bâtisse, puis en sortant sur un balcon en fer qui grinçait au moindre mouvement et qui ne cessait de menacer de s'effondrer dès que l'on avait posé un pied dessus. Il fallait ensuite grimper à l'échelle de service, à laquelle il manquait des barreaux et qui tanguait légèrement au vent lorsqu'une bourrasque plus forte qu'à l'accoutumée venait à se lever. Mais allez savoir comment, quelqu'un avait réussi à hisser sur la surface plane du toit un vieux canapé tout défoncé et ne payant pas de mine, histoire de s'assoir sur quelque chose et non pas à même le sol, avec les cailloux, gravas et autres immondices qui s'accumulaient depuis on ne savait trop quand. Ici, c'était calme, personne ne montait, du moins, depuis qu'elle était là, c'est à dire quelques jours seulement, Heather n'avait jamais vu personne sur le toit, pas même avant ou après qu'elle ne s'y soit rendue. C'était pareil pour le dernier étage qui avait dû servir de débarrât il y a quelques années tant les cartons plein de poussières et les meubles volumineux mais en sale état, eux aussi couverts de poussière, s'y accumulaient. Cela n'était pas sans déplaire à la jeune femme, qui aimait se retrouver seule en tête à tête avec elle même de temps en temps. On ne change donc pas les bonnes vieilles habitudes. Cela ne faisait cependant pas d'elle une asociale, elle tenait à tisser ne serait-ce que quelques liens avec les autres Léthés. Après tout, le destin qui les attendait était semblable pour eux tous, et maintenant, ils formaient presque une étrange famille ne ressemblant pas à grand chose mais ayant malgré tout de la gueule, quoi qu'on en dise. Qu'est-ce que ce serait quand tous auraient retrouvés leur mémoire ! Okay, il y aurait sûrement de très mauvaises surprises, mais la jeune femme se disait que Jenkins et comparses n'auraient jamais sélectionné des violeurs ou des serial killers pour sauver le monde, du moins, elle l'espérait fortement. Mais ce soir, alors qu'elle était rendue à mi-progression sur l'échelle de service, un bruit alerta son ouïe fine, et ni une ni deux, elle se laissa quelque peu glisser avant de sauter et d'atterrir sur le balcon qui, pour le coup, grinça plus que de raison. C'est alors que la jeune femme posa les yeux sur ... « Arya ?! Mais qu'est ce que tu fais là ?! » Immédiatement, elle regretta son intervention un temps soit peu trop agressive. Arya était libre d'aller et venir, de faire ce qu'elle voulait, sans qu'on ne lui dise quoi que ce soit. Cet hôtel était autant son chez elle que celui de Heather, mais cette dernière avait été surprise et avait eu pour réflexe de s'arquer et de se positionner comme quelqu'un capable de vous botter le train si vous l'attaquiez, physiquement ou verbalement. Oui, mais quand même, elle aurait pu réfléchir, analyser et être plus cordiale ...

Spoiler:

Se réhabituer à vivre dans un monde bien différent, ce n'était pas évident, surtout quand on se retrouvait un peu isolée. Pas qu'on la rejette ou quoi que ce soit de ce genre, non. Mais en réalité, les autres Léthés, ceux qui avaient connus la même aventure qu'elle, avaient perdu la mémoire, totalement, ou seulement partiellement, et très rares étaient ceux qui l'avaient en entier. Alors, discuté avec eux c'était un peu compliqué, car on savait qu'ils deviendraient sûrement différents le jour où ils sauraient à nouveau qui ils sont. A côté, il y avait les Trojans, mais eux, ce n'était pas pareil. Ils avaient tous leurs souvenirs, certes, mais ils étaient nés dans ce monde, ou, au moins, avaient assisté à sa chute. C'était donc totalement différent. Heather évoluait chez eux, en quelque sorte, et il lui restait encore à faire d'ici son nouveau chez elle. Or, pour l'instant, cette appropriation se limitait grandement au seul périmètre de l'hôtel qu'on leur avait alloué pour les héberger. Au delà, les environs en fait, c'était une toute nouvelle ville, bien délabrée et balafrée, ne ressemblant plus à ce qu'elle avait été. Même son nom avait changé, c'était dire. Alors, oui, s'isoler, même en grimpant seulement sur un toit, cela faisait du bien. En plus, en même pas quelques jours seulement, certaines personnes lui tapaient déjà sur les nerfs, et dans ces cas là, mieux valait pour elle de prendre ses distances avant d'en encastrer un dans le mur le plus proche. Du style, Jenkins fils. Autant, elle tolérait relativement bien le père, parce que ses idéaux étaient nobles et honorables, autant le fiston lui pompait l'air. Personne ne lui donnait d'ordres, elle n'avait pas de maître et ne devait ramper aux pieds de personne, qu'on se le dise. Mais si lui, ça lui faisait plaisir de croire, qu'un jour, on se rangerait tous en jolis petits rangs derrière ses petites fesses, qu'il y croit encore un bout de temps. De plus, pour ne rien arranger, son don était trop proche du sien. Bref. Certains autres Léthés avaient en revanche bien plus ses faveurs. Mais les goûts et les couleurs ne peuvent se discuter, par même aujourd'hui après tant de changements et de bouleversements.

En voyant la réaction d'Arya, qui, elle, contrairement à Jenkins fils, faisait partie des personnes qu'elle appréciait (et en plus, elle aussi était, comme elle, une Léthé, ce qui ne gâchait absolument rien à la situation, bien au contraire), Heather s'en voulut énormément d'avoir réagi ainsi. Une autre aurait pu fondre en larmes, quand une autre encore aurait pu lui sauter au cou pour l'égorger, mais Arya, elle, elle avait simplement décidé de passer son chemin. Arya, elle, elle comprenait ce besoin d'isolement et de solitude, sans se faire passer pour une persécutée, sans tomber dans des délires paranoïaques. Alors, évidemment, ça faisait regretter encore plus à Heather sa réaction. Se mordant les lèvres un grand coup, elle fit une grande enjambée vers la jeune femme, mais se retint de l'agripper par le bras. Elle craignait tellement ce qui pourrait se passer si elle commettait ce qu'elle considérait être comme une imprudence à coup sûr. « Nan, restes ! Tu m'as surprise, c'est tout. Je suis désolée, j'aurais pas dû réagir comme ça, mais c'est la première fois que je vois quelqu'un dans le coin. Faut croire que le côté aventurier ne s'est pas encore réveillé chez tout le monde. » Lui adressant un petit sourire, elle lui lançait surtout un regard des plus doux et mutins, comme une petite fille cherchant à se faire pardonner sa petite bévue. Heather ne faisait ce type d'effort qu'avec des personnes en valant la peine, et Arya, elle en valait la peine. Mais, en réfléchissant à la réponse qu'elle pourrait bien lui donner à la question qu'elle venait de lui poser, le regard de la jeune femme se perdit quelque peu dans le vide. « En haut, il y a une vue imprenable sur la ville, enfin, sur les décombres. Mais c'est calme, et ça fait du bien de ne plus entendre toutes ces questions, venant des autres Léthés qui ne se souviennent de rien, ou des Trojans qui nous voient parfois un peu trop comme des héros, ou des animaux, je ne sais jamais trop comment interpréter leur attitude ... » La détaillant une fraction de seconde le corps de son vis à vis, les sourcils de Heather se froncèrent quelque peu. Les vêtements étaient froissés, un peu sales aussi, et surtout, les cheveux d'Arya étaient en tous sens. Dans un autre contexte, elle aurait pu croire qu'elle venait simplement de se lever, ou bien de faire du sport en chambre, mais là, la saleté, et la mine quelque peu abattue de la jeune femme l'orientèrent sur une autre piste. « T'as eu des soucis ? »

Spoiler:

Tout ceci, son réveil du moins, n'était survenu que quelques jours plus tôt, à peine, et pourtant, elle avait la sensation qu'ici se trouvait réellement désormais sa vie. Elle s'était appropriée tous ces changements plus rapidement qu'elle ne l'aurait pensé. A l'inverse, elle avait comme la sensation que son dernier entraînement à la base d'Aurora, c'était hier, alors que des dizaines d'années s'étaient écoulées entre temps. Et sur ce point là, elle ne savait pas réellement quel positionnement adopté. Elle se sentait quelque peu mal à l'aise d'avoir à ce point perdu la perception du temps, et dans le même temps, elle se disait que c'était normal et qu'elle gérait cette nouvelle acclimatation plus que bien. Il n'en demeurait pas moins qu'en elle, il y avait conflit intérieur. Oh, c'était loin d'être la première fois, parce qu'elle était une jeune femme paradoxale, et les gens en venaient même à la penser versatile des fois. Qu'ils pensent ce qu'ils voulaient, ça lui était égal, parce que, de toute façon, elle était incapable de leur expliquer réellement qui elle était. Sa vie n'avait pas été des plus durs, même s'il y avait eu des bas, comme pour tout le monde. Du moins, jusqu'à ce qu'on assassine son époux. Là, quelque chose s'était comme définitivement brisé en elle. Jamais auparavant elle ne se serait acharnée avec son arme de service sur qui que ce soit, or, c'était bel et bien ce qu'elle avait fait au meurtrier de son mari après lui avoir tiré une balle en pleine tête, le tuant donc sur le coup. C'était un signe, non ? Un signe assez néfaste et peu engageant, avouez le. Autrefois, elle avait plus de réflexion, plus de retenue, alors que depuis cette nuit sanglante, elle avait perdu de tout ça. Bien sûr, elle restait quelqu'un réfléchissant énormément, mais désormais, elle estimait que la fin justifiait les moyens, et que le résultat ne devait être sacrifié pour rien au monde. Est-ce que cela faisait d'elle une personne dont il fallait se méfier ? Pour sur, la réponse était oui, mais dans le même temps, elle n'était pas devenue l'un de ces monstres furieux qu'il vaut mieux voir derrière les barreaux que juste devant soit. Encore une fois, tout ceci était bien paradoxal, mais n'était-ce pas l'exact constat à faire en ce qui concernait la vie, le fonctionnement du monde, ou bien la logique de la Société ? Sur cette planète, trop d'informations parallèles entraient violemment en conflit les unes avec les autres, et c'était perdre son temps inutilement que de chercher à démêler parfaitement tous les fils. La vie n'attendait pas les retardataires s'étaient arrêtés en chemin, et ce même si ceux ci avaient décidé de ne faire qu'une micro-pause, et une micro-pause seulement.

Mais parfois, on peut de toute façon se révéler être une personne dangereuse sans le vouloir le moins du monde. Et pour l'instant, Heather classait Arya dans cette catégorie là de personnes. La jeune femme ne lui semblait pas être foncièrement mauvaise, voire même pas du tout, et pourtant, son don se révélait mortel tant qu'elle n'en était pas à pleines mesures aux commandes et qu'elle ne le contrôlait pas encore totalement. Mais il fallait qu'Arya se montre patiente, tout venait en temps et en heures. « Je suppose qu'il faut laisser du temps au temps. Peut être que ça a à voir avec l'état de ta mémoire, ou quelque chose comme ça, je veux dire, tu as appris à t'en servir, mais comme tu n'as que des fragments de mémoire, tu as ... perdu la main ? En fait, ce ne sont que des suppositions, on n'a pas pris la peine de m'expliquer ! » C'était vrai, elle se souvenait très bien que, même en étant dans le projet de son plein grès et en se montrant la plus réceptive possible, on n'appréciait pas réellement qu'elle pose des questions. Pourtant, ça avait toujours été plus fort qu'elle, elle aimait comprendre le fonctionnement de tout, histoire de toujours tout anticiper et d'avoir une longueur d'avance, plusieurs plans de secours aussi. Elle se disait donc qu'avec un tel mode de fonctionnement, il était bien normal que ce soit elle qui ait la première dégoter cet endroit un peu en retrait du reste de la bâtisse. « J'ai toujours été très agile, et curieuse aussi. Pourtant, ce que j'ai pensé trouver en premier en me lançant dans l'exploration de cet ancien hôtel, c'était des passages secrets, des pièces secrètes. C'est encore plus cliché je trouve, et pour l'instant, j'ai encore rien trouvé ! » Mais si secrets il devait y avoir, elle trouverait, c'était ce qu'elle se dit intérieurement. La remarque d'Arya sur les Trojans ne lui tira qu'un petit soupir, ainsi qu'un hochement positif de la tête : elle était d'accord avec elle, pas forcément totalement, mais quand même. « Ils s'attendaient pas à nous trouver je crois, ce projet, ça devait plutôt être un mythe pour eux. Mais même si je les remercie de m'avoir sauvé d'une fin à la Belle au Bois Dormant, je n'oublie pas, effectivement, que nous et eux n'appartenons pas à la même ... catégorie ? Et je suis d'accord, on est pas prêt, pas tant que vous n'avez pas retrouver la mémoire. Je t'assure, quand tu as le plein contrôle de ton don, c'est euphorisant. Mais parfois, j'ai peur de perdre la tête, alors j'ai besoin de vous, ne serait-ce qu'un peu, pour m'épauler et que je me sentes moi seule ! » Un petit rire amusé fila de ses lèvres, un rire qui se répercuta jusque dans son regard, ce qui prouvait sa franchise et son naturel. Mais son sourire, accompagnant le rire, s'était figé après l'observation de la silhouette d'Arya, et en apprenant la raison de tous ces changements, Heather serra quelques peu les poings, ses ongles s'enfonçant de quelques millimètres dans la chaire de sa peau. « La prochaine fois, on leur botte le cul ensembles ! ... Tu veux que je vérifie qu'il n'y ait rien de casser ? »

De grès ou de force, ceux que l'on dénommait désormais les Léthés, sous l'idée impulsée par les Trojans, c'est à dire les humains ayant décidés de résister, avaient un jour ou l'autre été intégrés au programme Aurora Borealis. Tous avaient eu des parcours différents, tous se trouvaient ici pour des raisons différentes, et au final, malgré la complexité, les embûches, les transgressions des lois scientifiques et éthiques que de tels desseins engendraient et impliquaient, on avait voulu faire d'eux une sorte d'unité d'élite chargée de défendre les humains d'un autre temps, un jour que l'espèce humaine serait en danger et qu'on aurait besoin de surhommes pour porter les armes, comme autrefois on avait les dieux et les héros mythologiques. Auparavant, Heather s'était simplement dit que tous ces mythes étaient basés sur des faits réels que l'on avait ensuite grossis et déformés à outrance pour rendre tout cela quasiment surnaturel, aujourd'hui, elle se disait que, peut être, de tels hommes et de telles femmes avaient un jour réellement exister. On avait cherché à faire d'eux une sorte de grande famille soudée, unie et solidaire, alors même qu'on les avait tous « éduqués» et pris en charge séparément, et alors même que, tous à leur façon, ils étaient uniques, bien que ce don personnel, à la base, ce n'était pas prévu. Mais il faut croire qu'il y aura toujours des retombés imprévus quand on fait joujou avec la science, l'ADN et tout ce qui va avec. Il fallait voir ça du côté positif, au moins, il ne leur était pas poussé de membre supérieur et leur faciès avait gardé toute leur humanité. Ils ne ressemblaient pas à des monstres, pas plus qu'à des surhommes, du moins, extérieurement, ce qui leur permettrait, en temps voulu, de s'infiltrer facilement parmi les humains, et d'avancer comme drapés sous une cape de dissimulation sans que les Styx ne viennent à se douter de leur réelle identité et de toutes ces petites surprises qui les accompagnaient. La jeune femme comprenait qu'on ait pu avoir des réticences à l'époque, et encore aujourd'hui lorsqu'on était amnésique, partiellement ou quasi totalement. Si elle, elle avait été volontaire, elle avait toujours su, parce que ce n'était pas si dur à deviner pour elle, et aussi parce qu'on le lui avait confirmé, que ses autres petits camarades n'étaient pas forcément sur la même longueur d'ondes qu'elle. Il fallait de tout pour faire un monde, alors, il faut sans doute aussi de tout pour faire une faction d'humains dotés de dons surhumains. Il faut que ça fonctionne, et que chacun conserve sa propre identité tout en acceptant la vie et la survie en communauté, entre Léthés ou vers des horizons plus lointains. Elle ne jugeait pas, ne donnait pas son avis sur la question, parce que de son point de vue, toute opinion était respectable tant qu'elle n'amenait pas à une mise en danger de tous, et d'elle entre autre. « J'étais volontaire pour tout ça, c'est la raison pour laquelle j'ai conservé ma mémoire. On n'a pas eu à me droguer pour que j'obéisse. Mais j'avais plus rien à perdre, alors, ça ou autre chose ... Ils m'auraient abordés un an auparavant que j'aurais été la plus farouche des opposantes, mais après ce qui s'était passé, je ne voyais pas d'autre solution plus alléchante pour moi. En ce qui concerne Jenkins fils, c'est un abruti, y a pas d'autres mots. Et je crois que ça le fait bien chier que je ne sois pas amnésique et donc manipulable, et que certains d'entre nous, bien qu'à la mémoire partielle, ne se laissent pas non plus manipuler ... J'ai en tout cas toujours pensé qu'on nous réveillerait après que l'humanité est commencée à violemment s'entredéchirer et à sombrer vers un point de non retour, par sa propre faute. Je n'avais pas pensé que le danger pouvait au final venir d'ailleurs. »

Avec Arya, parler, c'était simple, et la jeune femme ressentait une sorte de connivence entre elles, comme si, instinctivement, elle savait qu'elles étaient faîtes pour s'entendre. Parce que ce n'était pas parce qu'elles étaient tous deux des Léthés qu'obligatoirement, le courant se devrait de passer. Heather avait ses atomes crochus, ses ressentiments aussi, parce qu'en dépit de tout, elle demeurait humaine, emplie de sentiments et d'affects autres. Tout comme certains Trojans trouvaient un temps soit peu grâce à ses yeux. Il fallait dire que certains semblaient plus prudents qu'autre chose et ne s'aventuraient pas à observer trop longtemps les Léthés, de peur, peut être, qu'on leur saute à la gorge pour les tuer. Qui sait ce qu'on avait bien pu raconter sur les Léthés, qui sait ce qu'on leur avait attribué en tant qu'exploits et capacités ? Peut être qu'à trop surjouer et glorifier, on en était venu à mettre sur leurs épaules, alors mêmes qu'ils étaient encore endormis dans leurs capsules, des attentes et des espoirs trop lourds et ardus à supporter. Mais les défis, ce n'était pas ce qui inquiétait ou effrayait la jeune femme, au contraire. Tout restait à faire ou presque, y compris au niveau de son don. « Parfois j'ai la sensation que nos dons sont autant bénédiction que malédiction. C'est comme si, obligatoirement, il y avait une face coupante, mortelle et empoisonnée, enfin, pas pour tous, mais toi, moi, et même ce brun aux yeux verts et aux tâches de son ... C'est comme si on tenait à nous obliger à sans cesse garder les yeux ouverts pour nous contrôler nous même. Dans un sens, ça nous rend dépendants les uns des autres, et ça nous incite à veiller sur tous les nôtres, ce qui doit être une bonne chose, mais dans un autre sens, ça pourrait aussi causer notre perte. Je pense que tout est concevable et acceptable concernant les espoirs et les envies d'évolution, parce que si pour l'instant, c'est la face sombre de ton don qui t'apparait, alors ça veut juste dire que la face lumineuse est encore dissimulée aux regards. Imagines qu'un jour, moi, je serais peut être capable de contrôler totalement quelqu'un au point de parvenir à le faire se suicider. C'est effrayant ... » Posant son regard sur la jeune femme à ses côtés, Heather eut un petit frémissement, parce qu'en dépit de tout, oui, elle pensait être un réel danger pour elle même, dans le sens où jamais elle n'aurait cru en arriver là juste avant la mort de son époux. C'était affolant combien on en venait à ne plus se reconnaître nous même dans certaines circonstances et après certains événements si traumatisant qu'ils en venaient à bouleverser le restant de nos jours à tout jamais. « Fais attention quand même, ça peut être plus grave qu'on ne le pense, depuis qu'on a pas exactement le même taux de résistance que les Trojans et autres ... Je suis contente que ça ait été toi, tu sais, à côté de moi, dans cette capsule voisine. J'aurais pu tomber sur Jenkins fils, imagines ! T'es quelqu'un de bien Arya ... »

Spoiler:

Plus jeune, Heather s'était sentie des points communs avec Max, l'héroïne de la série Dark Angel, sans non plus devenir une fana ne jurant que par elle. Ce qui ne l'empêchait pas de ne jamais manquer un seul épisode et de se regarder les rediffusions lorsqu'elle tombait par hasard dessus en zappant. Il fallait dire que ce personnage était l'une des premières héroïnes féminines à avoir un show centré sur elle, une héroïne également capable de vous botter le train en un rien de temps, tout en restant toujours super sexy et avec toujours le mot, la phrase ou la réaction qui faisait mouche. En plus, elle savait piloter une moto, était agile et athlétique comme personne, et surtout, surtout, elle avait une sorte de double vie un rien grisante, tout en vivant sans cesse avec la peur panique au ventre d'un jour devoir retourner dans la base de Manticore. Mais à l'époque, Heather ne pensait pas à plus de points communs que ceux là, elle qui voulait servir la défense des plus démunis, elle qui adorait le sport, qui avait une souplesse à en faire pâlir d'envie des meilleures gymnases, et qui, en plus, n'était déjà pas si mal que ça à son âge encore assez jeune. Mais depuis son réveil, depuis qu'elle s'était remise à penser, comme ça, un jour, à cette série, à cette héroïne, à cette Max, elle se sentait encore plus en communion qu'elle ne l'avait jamais été auparavant. Désormais, elle aussi était de ces êtres humains génétiquement modifiés qui étaient de vraies armes et de vrais dangers pour ceux qu'elle devait combattre. Et même si elle, elle avait eu de vrais parents, des parents qui l'avaient élevée, désormais, c'était tout comme si elle était orpheline. C'est un constat douloureux à accepter, un deuil complexe à gérer, mais ce boulot là, Heather espérait bien l'avoir déjà fait en disant oui pour le projet Aurora Borealis.

Après, dire qu'aujourd'hui, elle n'avait aucun regret de quelque forme que ce soit, ce serait mentir et risquer de se décevoir soit même en tenant un tel discours. Et ça, elle refusait de le faire. Elle avait besoin d'être sûre d'elle même le maximum possible histoire de pouvoir laisser ses doutes et ses remises en question de côté le jour où il faudrait se battre et faire ce pour quoi on avait joué avec son ADN en faisant d'elle une sorte de super-héroïne. Mais il n'en demeurait pas moins qu'elle n'avait aucune honte à avouer avoir dit oui sans y avoir été contrainte, et dans ce cas là, elle estimait qu'elle avait à accepter de répondre aux questions qui viendraient sans doute à être posée face à une telle révélation. Et l'attitude d'Arya ne la surprit pas : elle la questionnait, cherchant sans doute à comprendre parce que cela lui imporait plus qu'à savoir juste parce qu'elle était curieuse, et le tout sans l'agresser ni la traiter de tous les noms. C'était l'un des très nombreux traits de caractère que Heather appréciait chez Arya. « Je n'avais pas le choix, du moins, pas vraiment. Je ne sais pas si je te l'ai déjà dit, mais dans ma vie d'avant, j'étais flic, et mariée à un flic. C'était l'homme de ma vie, et on allait avoir un enfant, mais il ne le savait pas encore. Et pour faire bref, un mec que j'avais coffré l'a tué, et moi, je l'ai massacré, sans état de légitime défense, en vidant mon chargeur. Une vraie boucherie. Alors, c'était Aurora et la possibilité de voir du pays, ou une cellule de 4m² pour au moins 25 années de ma vie. Aurora, c'était la promesse de 25 années passées à l'air libre. ... Le plus dur, ça a été de dire adieu à mes parents, à mes frères. Mais je l'ai fais, parce que plus rien ne me retenait, Jason était l'homme de ma vie, j'ai fais une fausse couche cette même nuit d'horreur. Y avait que mes parents, et c'était sans doute pas suffisant. Les voir détruits en me voyant enfermée et vieillir en prison, ça aurait été encore plus dur que de me dire qu'ils vieilliraient en sachant que j'irais bien, même s'ils ignorent tout de ce que je suis devenue. »

C'était la première fois qu'elle avouait cela, à qui que ce soit, et elle était heureuse, soulagée et honorée que le destin est fait tomber le coup de destinée sur Arya. Elle, elle saurait garder cela pour elle, en n'allant pas le répéter à tout le monde. Et puis, Heather n'éprouvait, à sa plus grande surprise, aucune honte à se livrer et à se mettre à nue face à son amie, son amie la plus proche désormais. En quelques jours, elles s'étaient énormément liées, et trouvées des tas de points communs. Heather trouvait en elle comme une sœur, et entre sœurs, on se soutient, on se comprend, on se capte sans avoir besoin de faire étalage de ce que l'on ressent au fin fond de nous même. Et Heather espérait, savait qu'Arya n'allait pas partir en courant devant de telles révélations, parce qu'elle savait que son amie avait un cœur énorme et une compréhension à toute épreuve. Et qui mieux qu'une femme peut comprendre ce dont on est capable quand l'amour de votre vie vient de vous être arraché, quand votre monde s'écroule et quand vos rêves d'avenir partent en fumée en moins de deux secondes. Et puis, les doutes d'Arya étaient aussi les siens, pour certains, alors, évidemment, de ce point de vue là, elle se disait que la jeune femme verrait là aussi sûrement les choses de la même manière qu'elle, du moins, pour le crime commis. « Même si on échoue, au moins, on aura essayé, on ne sera pas restées impassibles et se lamentant en restant plantées comme des piquets. Mais on est pas des héros, je pense pas. Ils ont tord de penser ça, d'une certaine manière. Même si tu es un peu notre Malicia des X-Men en quelque sorte ! Quant à la face lumineuse, elle viendra, j'en suis sûre ! Et puis, peut être qu'un jour, comme Malicia dans la storyline "L'ère de l'apocalypse", tu trouveras et épouseras ton Magneto, si tu le trouves ! » Elle avait besoin d'évacuer la tension, de crever le dramatisme de leur discussion, et une petite note d'humour devait sans doute toujours être la bienvenue ! Offrant un sourire à la proposition d'Arya après avoir à nouveau grimacer en l'entendant évoquer Jenkins fils et après avoir, auparavant, offert à son amie un sourire de soutien en l'entendant lui demander de garder le secret sur la petite mésaventure qui avait été la sienne. « Oui, excellente idée, allons jouer les vigies. La moitié d'entre eux sont des chiens fous, et l'autre moitié est composée de bien trop de Léthés se mettant à l'écart pour que ce soit une bonne chose. ... Tu sais, ça me rassure, de savoir que quelqu'un sait pour moi, pour ce que j'ai fais, pour le drame que j'ai vécu. Et y avait pas meilleure personne à le savoir que toi ... »