Arya n’avait pas vraiment fait dans la dentelle. Depuis son réveil, elle avait du mal à percevoir le groupe des Trojans comme des amis. Pour elle, ils n’étaient que le prolongement de ce gouvernement qui l’avait manipulée, utilisée et ramenée dans une vie dont elle n’avait pas voulu. Peut-être pourrait-elle réussir à leur accorder sa confiance mais la blessure était encore trop récente. Ses souvenirs n’étaient pas complets, cependant, elle se souvenait de quelques entraînements et de ce fichu contrat. Pourquoi avait-elle signé ? Un moment de faiblesse dont ils avaient profité. Ils avaient promis une vie meilleure et que leur offraient-ils au final ? Un monde en agonie, dominé par des faux dieux et une guerre. Une guerre. Super vie. Super cadeau. La mort à chaque coin de rue. Et ces monstres. La jeune femme avait laissé les Trojans l’installer dans l’un des endroits lugubres. Si la pièce aux capsules la répugnaient pour ce qu’elle représentait, nul doute que se rendormir ressemblait à la meilleure option. L’inconscience était si douce, si simple. Seulement, ils ne le lui permettraient pas. Et puis, il fallait bien quelqu’un pour aider les autres êtres humains à s’en sortir. Apparemment, ils étaient leur ultime espoir. Quelqu’un devait bien le faire et elle s’y engageait. Mais pas aveuglément. Déjà, elle avait pu en apprendre plus sur ses compagnons. Du peu qu’elle avait déjà remarqué avant qu’on ne l’encapsule, ils avaient tous eu un souci. Forcément, c’est toujours plus simple. En colère. Oui elle était vraiment en colère contre ces abrutis. Ils lui avaient volé sa vie ! Comment pourrait-elle vivre dans ce monde qu’elle ne reconnaissait plus ? Plus rien n’avait de sens à présent ! Sa famille ne devait plus être en vie. Elle n’aurait même plus sa mère. En plus, elle n’avait même pas pu lui dire au revoir. Où pouvait-elle être enterrée ? L’avait-elle au moins été ? Oui, elle les haïssait un peu plus à chaque instant, ces anciens médecins et chercheurs qui l’avaient transformé en vulgaire cobaye. Et quelle ne fut pas leur joie quand en plus ils lui trouvèrent son petit don. Un don ! Une malédiction oui ! Tant qu’elle ne le contrôlait pas, elle pouvait se nourrir littéralement de la vie d’un autre rien qu’en le touchant. Ce n’était vraiment pas le don le plus cool qui soit. Quoique… Oui certes, pour tuer dans la discrétion, c’était idéal. Encore fallait-il être capable de prendre par surprise l’un de ces Styx. Ou tout autre danger.
En parlant de danger, cela faisait bien plusieurs jours qu’elle surveillait du coin de l’œil l’un des siens. Il lui semblait louche, vraiment. Pourquoi ? Parce qu’il se tenait TOUJOURS en dehors du groupe. Asocial ? Probablement. Or, elle se souvenait avoir lu ou vu ou entendu peut-être qu’un psychopathe était souvent un asocial. Ils ne respectaient pas les règles de la société, les bravant dans le simple but de leur donner un sublime instant de bonheur. Ils ne trouvaient leur plaisir que dans la douleur et la peur de leurs frères. Espérait-il les effrayer en agissant ainsi ? Se prenait-il pour un prédateur ? Plusieurs avait déjà essayé de l’approcher sans succès et la Léthé était bien décidée à découvrir si oui ou non il était une menace. Elle ne connaissait pas sa capacité et ne savait pas s’il était capable de l’utiliser mais nul doute qu’au moindre geste brusque de sa part envers elle, elle lui prendrait la vie. Elle avait découvert des réflexes dès le réveil. Des réflexes peut-être liés à son entraînement ? Elle demeurait incertaine. Tous ces doutes pouvaient parfois la rendre confuse. Peut-être était-ce la même chose pour lui ? Mais au bout de sept jours, il fallait bien réaliser n’est ce pas ? Elle parlait avec une autre Léthé lorsqu’il surgit soudain dans les ruines où ils se trouvaient tous ce matin là. Elle parlait tout en ne le quittant pas des yeux. Qu’allait-il faire ? Il ne répondit à personne et semblait se faufiler à la manière d’un rat, longeant les murs. Mais qu’est-ce qu’il foutait ? Elle fronça les sourcils. Il fallait le suivre.
Cette idée bien ancrée dans sa tête, elle abandonna à son tour le groupe et se mit à emprunter le même chemin que lui avec le plus de discrétion possible. Les ruines s’élevaient peu à peu, jusqu’à devenir une sorte de quartier. Et pourtant, il n'y avait pas âme qui vive. Tout était mortellement silencieux. Chaque pas semblait résonner plus qu'il ne le ferait en temps normal. Oui en 2011 on ne les entendait qu'à peine avec toutes ces voitures, ces bruits qui faisaient de New York la ville "qui ne dort jamais". Où étaient les autres? C'était forcément habité dans le coin! Elle le filait depuis de nombreuses minutes. Enfin, au fond elle ne savait pas trop. Mais elle continuait de marcher en essayant de ne pas le perdre de vue. Ce serait complètement débile de se retrouver ici sans pouvoir surveiller ce psychopathe potentiel. Oui, oui il devait l’être. Son comportement lui paraissait trop anormal. Elle avait baissé les yeux quelques instants afin d’éviter un morceau de verre mais quand elle les releva… Il n’était plus là. « Shit. Mais il est où ce crétin ? » se demanda-t-elle. Elle observa les alentours, écoutant avec attention son environnement. Aucun bruit. Rien ne bougeait. Ces sens ne lui seraient d’aucune utilité. La logique prit donc naturellement le relais. La configuration des lieux ne laissaient qu’une seule possibilité : il n’avait pu qu’avancer. Alors elle accéléra le pas pour le rattraper. Là, elle vit une ruelle sur la droite. Une impasse. Rien ne bougeait. Il ne devait donc rien y avoir, en tous cas pas sa cible du jour. Soit. Elle avança encore, cherchant un indice mais rien. Aucune trace. Ok. Soit il pouvait être invisible, soit il y avait un autre truc. Elle s’immobilisa soudain en plein milieu d’un carrefour. Rien non plus. Devait-elle abandonner ? Arya n’en avait pas vraiment envie. Elle réfléchissait à un possible trajet dans une ville que ni l’un ni l’autre ne pouvait connaître quand elle sentit une présence dans son dos. Elle fit volte-face et se retrouva nez-à-nez avec lui. Surprise, elle resta quelques secondes immobile.

« COME ON, LET’S PLAY A GAME. »

Une nouvelle journée. Le septième jour d’une nouvelle vie. Il y’avait eu des rencontres, il y’avait eu des surprises, des informations. Toutefois, la « vie » restait fondamentalement la même. Voila une semaine qu’ils étaient tous réveillés, une semaine que rien ne bougeait. Une fois de plus, ils n’étaient que sujets à des recherches, des analyses, comme s’ils étaient de véritables phénomènes de foires. Kane détestait ce sentiment là, et à vrai dire, il se sentait étouffer dans cette pièce où il vivait. Quatre murs. Le même décor. Rien ne changeait. Et surtout, rien ne s’améliorait. Sa mémoire ne revenait pas. Oh il y’avait bien eu quelques « incidents », des fous qui pensaient le connaître, mais rien d’autre. Eux qui disaient avoir une capacité, le jeune homme, lui, était persuadé qu’il n’en avait pas. Ses cicatrices ? Il les connaissait à présent par cœur, mais ce n’est pas pour ça qu’il connaissait leur signification. Comment aurait-il pu le deviner d’ailleurs ? Law avait plusieurs fois pensé à aller rechercher son dossier, il devait bien y en avoir un quelque part, perdu dans les différents couloirs de ce qu’ils appelaient « le centre ». Le mieux serait de l’appeler Aurora, mais à quoi bon ? Ce projet était une grosse merde en boîte pour lui. Toujours aussi solitaire, Kane ne sortit pas dehors en même temps que les autres. Alors que ceux-ci s’attelaient déjà comme des gosses devant un parc d’attractions, l’ancien militaire, lui, restait encore cloîtré même s’il ne supportait pas ça. Cependant, la situation était différente cette fois, la porte n’était pas fermée à double tour, et il y’avait bel et bien une poignée à l’intérieur de la pièce. Chose qu’il n’y avait pas là-bas. Debout devant l’une des fenêtres, il fut surpris de se souvenir de ce détail. D’un côté il avait tellement cherché à l’ouvrir cette porte que…

L’amnésique partiel se souvenait de certaines choses, des entrainements assez rudes, des analyses. Il avait été pratiquement traité comme un rat de laboratoire, mais ses souvenirs ne démarraient pas au début. Non. Kay ne se rappelait pas avoir franchi les portes de ce bâtiment, il ne se rappelait pas avoir signé le moindre contrat. Pour lui, tout commençait un matin, il venait à peine de se réveiller, comme s’il avait dormi pendant un certain temps. Il avait cherché à se rappeler, il s’en souvient très bien, mais comme ici rien n’était venu. Tout n’avait laissé place qu’au néant, à la noirceur. Au vide. Pourtant tout laissait à penser qu’il se trouvait dans l’enceinte depuis un bout de temps déjà. Il lui manquait des bouts de sa vie, comme si quelqu’un s’était amusé à faire le tri, pour l’empêcher de mettre la main sur des détails houleux. Peut-être avaient-ils eut raison, mais malheureusement pour eux, ça ne l’avait pas empêché de chercher un moyen de se tirer de leur projet. Intenable, il en avait piqué des excès de colère. Il en avait brisé des miroirs, des vitres et des meubles. Mais rien n’a jamais cédé, ou alors il ne s’en souvient encore pas très bien. L’air pensif, remettant ses idées en place, Kane se surprit à esquisser un sourire. Oui, il leur en avait bien fait baver, mais ce n’était sans doute rien, comparé à ce qu’ils lui avaient fait. A ce qu’ils leur avaient fait.

Ce qu’il ignorait, c’est qu’Aurora avait tout de même du bon. Aurora les avaient tous soigné. Certains d’entre eux l’ignoraient, d’autres le savaient très bien. De là à dire que ce projet était l’œuvre de Satan, il ne fallait pas pousser. Il y’avait du bon comme du mauvais. Comme le monde lui-même en somme. De sa fenêtre, le Léthé observait les autres. Il ne pouvait plus rester enfermer. D’un geste rapide, il se dirigea vers la porte, la referma à clé derrière lui et s’échappa dans les couloirs. Il comptait bien aller se promener. Le mieux ? Retourner au centre pour découvrir quelques trucs. Le seul problème… C’est qu’il ne savait pas dans quelle direction il se trouvait. Une fois arrivé en bas de l’hôtel en ruine, il tomba nez à nez avec le groupe. Lèvres pincées, Kane se dégagea vite fait de là et prit la direction opposée à la leur, le tout le plus discrètement possible. Le jeune homme ne tarda pas à s’éloigner parmi les ruines. Il n’y avait que ça de toute manière, où était donc la ville dont les Trojans s’évertuaient à leur en dire si peu ? Non loin de là, il vit la silhouette de Jessica, silhouette qu’il s’empressa de fuir comme la peste, de peur qu’elle ne lui saute dessus pour avoir un nouvel échantillon, ou ne serait-ce que pour « parler ». A croire qu’elle se prenait pour son psy personnel. Quoi qu’il en soit, il n’eut aucun mal à se faufiler dans un coin.

Pendant de longues minutes, Kay marcha seul –du moins c’est ce qu’il croyait-, se dirigeant il ne savait trop où mais prenant tout de même soin à se souvenir du chemin emprunté. Il n’hésitait pas à marquer certains débris d’ailleurs. Passant devant ce qui ressemblait à une sorte de camp, le militaire rabattit sa capuche, il ignorait sur quoi il pouvait tomber. Et même s’il n’était qu’à l’intérieur de Mirage, rien ne pouvait laisser présumer qu’aucun de ces « Styx » ne s’y promènerait. S’éclipsant rapidement, il continua ainsi pendant une bonne quinzaine de minutes supplémentaires et fut ravi de constater qu’il commençait enfin à voir un bout de ville. S’arrêtant à l’entrée du quartier Ouest, il fronça les sourcils, l’architecture ne ressemblait en rien aux différentes ruines qui se trouvaient dans le vieux New York. Intrigué, il pénétra tout de même à l’intérieur, passant dans des ruelles et rues quasi désertes, ou alors, peu fréquentées. Aucun bruit ne parvenait jusqu’à ses oreilles hormis celui de ses pas, et ceux de quelqu’un d’autre. Law ne se retourna pas, ce n’était pas la peine, il saurait bien assez tôt à qui il avait à faire. C’est alors que, comme une fusée, il disparut à l’angle d’une ruelle sombre. Pourquoi il avait réagi comme ça ? Lui-même ne le savait pas, mais son corps, lui, s’en doutait. Ce n’était qu’une bonne vieille habitude, une attitude ancrée dans sa chair à cause de la formation militaire. La méfiance ne faisait qu’un avec le Spencer. Aussi discret qu’un homme invisible, il arpenta les rues adjacentes jusqu’à apercevoir « le suiveur » dans son champ de vision. Il patienta ainsi quelques secondes avant de l’apercevoir enfin. Une femme. Oui, il se souvenait d’elle, c’était celle là même qui le toisait sans cesse du regard lors des repas. Fronçant davantage les sourcils, il reprit son chemin, tapis dans l’ombre afin de la prendre par surprise. Et il comptait bien la surprendre. Doucement, le Léthé s’avança jusqu’à elle. Jusqu’à ce que son souffle se fasse sentir au creux de sa nuque. Il avait été discret, mais nul ne pouvait cacher sa présence éternellement, et surtout pas quand la personne qui vous cherchait se trouvait à quelques centimètres de vous. Comme si le geste semblait évident, il recula de quelques pas quand il la vit faire volte-face. Oui, surprise et en plus de ça il était contrarié maintenant. Il ne se montra pas agressif pour autant…

« C’est moi que tu cherches ? Qu’est ce que tu fous là ? ».

Oui, bon. Fallait pas trop lui demander d’être aimable, il faisait ce qu’il pouvait.

AND YOU’RE COMPLETELY RECKLESS

Arya était du genre téméraire. La plupart du temps, elle n’avait peur de rien. Oui, bien sûr l’adrénaline montait quand même quand elle se retrouvait dans une situation dangereuse mais elle arrivait la plupart du temps à surmonter cette peur et à réagir en conséquence. Il suffisait d’en éliminer purement et simplement la source. Etre un cobaye ? Très peu pour elle. Elle était bien décidée à prendre son indépendance et se montrait peu réceptive aux différentes demandes de ces trojans. En revanche, elle avait à cœur la protection de ce groupe si fragile que les Léthés représentaient. On lui avait dit que ce nom leur allait comme un gant. Une histoire de rivière de l’oubli. Pour sûr, sa mémoire n’était pas complète. Il lui manquait tout un pan de sa vie. Les seuls souvenirs qu’elle possédait remontaient à cet entraînement que « Le Centre » lui avait fait subir. Ils l’appréciaient pour sa technique de combat qui était d’après eux « excellente ». Soit. Elle était encore un peu rouillée. Elle avait quand même eut la brillante idée de se confronté à l’une de ces créatures. On avait beau lui avoir expliqué que les Styx étaient humains, qu’ils lui ressemblaient physiquement, ils n’en restaient pas moins des monstres à ses yeux. La jeune femme avait voulu se confronter immédiatement à la réalité de ce monde et n’avait pas raté son coup. Pour sûr, elle l’avait trouvé son soldat Styx. Sauf que tout avait dérapé : il l’avait prise pour une simple humaine et Arya n’avait tout d’abord pas cherché à le détromper. Seulement, elle avait voulu l’attaquer physiquement, ce qui fut une grave erreur. Il lui colla une bonne correction et pire, elle avait découvert que son pouvoir n’était pas encore assez développé pour tuer un Styx. Sa vie, elle ne la devait qu’à la chance. Une autre personne fit diversion, permettant à Arya de fuir le combat. Lâche. Ce n’était pas vraiment la conclusion qu’elle avait espéré. Heureusement personne ne le savait là bas et elle ne comptait pas en parler. La leçon était bien apprise : il fallait d’abord retrouver ses forces et réapprendre à vivre avant d’aller mater ces faux dieux. Mais pour réussir, il fallait que le groupe soit solide. Or, Kane, par son comportement plus qu’étrange représentait une menace. Surtout s’il était un psychopathe.

Aurora n’était que la plus grande trahison du millénaire. Arya n’avait pas envie d’obéir aux ordres. Ni à ceux des Trojans ni à ceux de ce « leader » qui semblait se souvenir de tout. Forcément. Bon, en même temps, il en fallait bien un. Il fallait bien un guide aussi. Mais comment faire confiance à ces gens ? Ils avaient menti ! Ils avaient promis un avenir meilleur, au lieu de ça, ils les avaient transformés en rats de laboratoire. Et pire, ils avaient lâché un psychopathe dans le troupeau. L’instinct de survie d’Arya lui commandait donc de se méfier de cet homme si solitaire et asocial. Elle entreprit donc de le suivre, d’abord de manière furtive puis plus à découvert. Elle le vit se rendre vers le cœur de la ville. Si elle était téméraire, lui était complètement inconscient ! Eh il avait écouté le cours de leurs amis Trojans ? Ils avaient bien expliqué que la ville grouillait de soldats qui ne pensaient qu’à torturer les humains pour leur bon plaisir. Alors pourquoi fonçait-il droit là dedans ? Elle soupira. Pas que l’idée d’y aller aussi lui déplaise. Mais elle ne voulait pas recroiser l’une de ces choses. Pas tout de suite. Elle le vit rabattre sa capuche. Elle ne fit que dégager une mèche de cheveux qui la gênait. La nouvelle ville. Son architecture si peu habituelle. Et ces ruelles si désertes. L’ancienne New-York grouillait tellement de vie. Pourquoi l’avoir détruite ? Un pincement au cœur. A cause d’eux, ils avaient tout perdu. Plus de famille, plus d’amis, plus rien. Juste un long sommeil et un monde en ruine. Plongée dans ses pensées, elle perdit la trace de sa cible. Elle ne paniqua pas. En revanche, elle était particulièrement contrariée de voir qu’elle avait échoué sur sa mission du jour… Immobile, au milieu du carrefour, elle observait les différents chemins qui s’offraient à elle. Le silence lourd pesait sur ses épaules. Elle ne l’entendit pas approcher dans son dos. Ses sens étaient en éveil mais ils ne captèrent pas vraiment la présence de son homologue masculin. Présence. Oui, ce mot se mit à étinceler dans sa tête alors qu’elle sentit un souffle frôler légèrement la peau de sa nuque. Immédiatement, une alarme se déclenchait dans son esprit, lui commandant de fuir ou d’agir. Par réflexe, elle fit volte-face et se retrouva face à lui. Raté. C’était elle qui était surprise à présent. Ses yeux agrandis par l’étonnement, les sourcils froncés, elle le dévisagea quelques longues secondes. Il avait reculé de quelques pas, mais elle continuait de le jauger, cherchant à anticiper ses gestes. Il prit la parole et elle pencha légèrement la tête de côté.

- Je protège la vie d’un abruti, voilà ce que je fous. Même si t’es manifestement l’ancien psychopathe. Gosh mais tu entres ici comme si de rien n’était alors que tu n’as jamais été confronté à l’un d’entre eux ! Soit tu es complètement stupide, soit t’es vraiment pas normal.

Pourquoi mentir après tout ? Ce n’était pas son style, la diplomatie. Elle entendit soudain un bruit suspect à sa droite. Elle tourna la tête et vit deux soldats Styx qui leur fonçaient droit dessus. Shit. Crap. Fuck. Elle n’était pas encore en état de leur foutre la raclée de leur vie. Ni une ni deux, elle s’élança vers Kane et le dépassa pour rebrousser chemin sans l’attendre. Qu’il se démerde tout seul après tout. Protéger oui. Encore fallait-il pouvoir le faire et mourir maintenant serait vraiment idiot. Les soldats criaient dans leur direction. Elle avait réussi à s’éloigner et prit la première ruelle qui se présenta à elle. Une impasse avec une grille. La jeune femme se jeta dessus et commença à escalader le grillage sans réfléchir. Elle parvint à passer de l’autre côté et continua sa course dans une autre artère. Il fallait une cachette. Elle trouva exactement ce qu’il lui fallait. Elle s’engagea dans une énième ruelle, tourna encore deux fois à gauche et une fois à droite avant de s’autoriser à respirer. Il fallait dire qu’elle devait avoir réussi à les semer maintenant. Cachée dans le renfoncement d’un mur, elle ne fut pas seule très longtemps. Elle reprenait sa respiration, se laissant glisser contre le mur, complètement exténuée.

« YOU’RE SO WEIRD… AND COMPLETELY NUTS ! »

Les débris. Des morceaux de métal éparpillés un peu partout. Voilà tout le spectacle que les meneurs du projet Aurora leur offraient. Au fond, le jeune homme ne se souvenait pas de grand-chose, tout ne faisait que revenir par bribes, le rendant dingue parfois et lui donnant une migraine particulièrement affreuse. Famille ? Oui, après avoir entendu plusieurs des Léthés en parler, il s’était lui-même demandé à quoi pouvait bien ressembler la sienne et s’il en avait toujours une… Bien qu’il en doute, il s’était surpris à espérer, mais la raison avait finalement repris le dessus, le laissant complètement seul avec lui-même. Aujourd’hui, Kane avançait dans les décombres, il avait réussi à fuir la superbe réunion Trojan pour aller se promener afin d’en voir plus. Certains auraient pu dire qu’il était tout bonnement inconscient, mais le fait est que le jeune homme ne reconnaissait plus rien, qu’il avait l’impression de s’être réveillé dans un cauchemar, et qu’en fin de compte… Tout cela n’était qu’un rêve bien trop réel à son goût. Comment avait-il pu se retrouver là ? Ce n’était certainement pas ses rares souvenirs du Centre qui allaient l’aider, bien au contraire. Se souvenir… Voilà ce que Kay cherchait le plus, même s’il craignait ces informations comme la peste. Oui, l’ancien militaire en avait clairement peur. Pourquoi ? Il ne saurait dire. Peut-être parce qu’il sentait que c’était lié à ces cicatrices… Cicatrices qu’il avait analysé des heures durant, espérant se souvenir de quelque chose mais rien n’était venu à son esprit torturé, percé de trous. Un vide intersidéral autour de souvenirs qui ne voulaient se faire concrets. Tout n’était que flou. Oui, sa mémoire était là, dans le creux de son crâne mais elle refusait de s’enclencher, au grand damne du Léthé.

Marchant, se faisant discret, l’amnésique observait les alentours, il ne se vit pas sortir de Désolation, tout comme il ne se vit pas arriver à la frontière de Mirage. Suivi, il ne s’en rendit même pas compte, jusqu’à ce que le décor ne change sous ses yeux. Il se trouvait aux abords de la ville, quartier Ouest (mais ça il ne pouvait le savoir.). Prudent, le Léthé avait mis sa capuche afin de passer le plus inaperçu possible, il n’était pas fou, il savait pertinemment qu’il n’était pas à l’abri de croiser l’un de ces êtres dont les Trojans leur parlait tant. Ces Styx. Une expression de dégoût déforma ses traits rien qu’à l’idée d’en croiser un. Jusqu’à ce finalement il ne décèle la présence de quelqu’un d’autre. On le suivait, il en était persuadé. Les sens en alerte, Kane tourna à l’angle d’une rue, profitant du moment « d’absence » de la jeune femme. Dans les ruelles sombres, l’ex militaire observait, analysait, la suivant à la trace discrètement, jusqu’à ce qu’elle ne s’arrête au carrefour. Law ne le remarqua peut-être pas, mais il avait fait exactement comme lors des différentes missions qu’il avait pu effectuer auparavant. Son instinct, ses gestes, et sa discrétion n’étaient rien d’autres que de simples réflexes militaires. Fronçant les sourcils, il se décida enfin à l’approcher, lentement mais sûrement. En d’autres circonstances, le jeune homme ne se serait jamais approché aussi près sauf pour tuer, mais ce n’était pas ce qu’il voulait alors… Il s’avança encore, et encore jusqu’à ce que son souffle n’effleure la nuque de la jeune femme. Reculant de quelques pas, il ne fut pas étonné de voir la brune se retourner comme une furie. Contrarié, il restait sur ses gardes mais ne put s’empêcher de demander directement ce qu’elle foutait là. La réponse d’Arya eut le don de le surprendre. Arquant un sourcil, il pinça les lèvres le temps d’un instant. Il allait d’ailleurs répliquer lorsqu’un bruit attira leur attention.

Capuche retirée, le Léthé pâlit en apercevant deux silhouettes imposantes foncer droit sur eux. Nul doute sur leur nature, il s’agissait bel et bien de soldats Styx. Lui qui ne voulait pas tomber sur l’un d’entre eux était servi… Contrarié par les propos de la brune, il souffla en la voyant passer à côté de lui. Tournant légèrement la tête, elle s’en allait. « Mais qu’est-ce que tu… ». Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que les Styx se trouvaient déjà à sa portée. Tâtonnant ses poches, aucune arme ne s’y trouvait. « Quels crétins ! ». Ni de une ni de deux, le militaire se mit à courir dans la même direction qu’Arya. « Hééé ! Attends-moi ! Ce n’est pas fairplay ! » Hurla-t-il en pleine rue. Les soldats continuaient de crier dans son dos, se rapprochant clairement. Kane ne prit conscience de sa vitesse qu’au moment où les silhouettes des deux Styx s’éloignèrent d’un seul coup. Toutefois, il ne comprit pas. Tournant à l’angle d’une ruelle, il fut stoppé net par la grille. La panique l’envahit, il n’aurait pas le temps de passer par-dessus. Grimaçant, il passa une main dans le bas de son dos soudainement douloureux. Se retournant, il courut jusqu’au bout de la ruelle, faisant demi-tour mais c’était trop tard. S’arrêtant net, il recula, face aux deux soldats. La grille présente derrière lui se mit à vibrer mais l’instinct de survie était tellement fort qu’il ne se rendait même pas compte de ce qu’il provoquait. Puis, la grille se mit à voler dans les airs. Kane eut tout le temps de l’éviter. Celle-ci fonça pour se mettre en travers des deux soldats, leur faisant faire un vol plané de quelques mètres. Surpris, son cœur manqua un battement, il sentait toujours la grille vibrer, ce n’était pas normal… Et s’il avait bel et bien une capacité lui aussi ? Son instinct le força à reprendre ses jambes à son cou, il courut pendant plusieurs mètres, tournant plusieurs fois et par chance, tomba nez à nez avec Arya. Kay dérapa juste devant la jeune femme, s’effondrant royalement à terre, les nerfs à fleur de peau, comme s’ils étaient prêts à surgir de nulle part ces maudits Styx. Reprenant son souffle, il grimaçait avant de finalement prendre conscience de la présence de la brune.

« C’était quoi ça ?! ». Sourcils froncés, il la toisait du regard entre deux prises d’air. « Merci pour ton aide ! Vraiment ! ». Contrarié, il croisa les bras, se mettant assis contre un mur. « Tu as vraiment insinué que j’étais un psychopathe ? Tu te prends pour qui exactement ? Et quels sont tes arguments vis-à-vis de ça d’ailleurs ? ».

Enervé, le phénomène précédent se reproduisit. Les quelques plaques de métal argenté ici et là se mirent à vibrer en cacophonie, menaçant de s’envoler on ne sait où. Les prunelles vertes du Léthé se posèrent sur ces dites plaques juste avant qu’il ne place ses mains sur ses oreilles, fermant les yeux. « Je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas faire ça. ». Paniqué, l’un des morceaux de métal alla se fracasser contre un des murs opposé. La respiration saccadée, Kane essayait de se calmer, il avait l’impression de devenir fou. Il voulait se réveiller de ce cauchemar.

La ville était fantomatique. Ce qui frappait le plus Arya dans ce nouvel environnement, c’était le manqué flagrant de couleur. Ce monde était gris. Ciel nuageux. Bâtiment de métal. Mais où étaient donc passé toutes ces couleurs (en dehors du rouge de l’aurore, rappelant combien de sang avait été versé dans les décennies précédentes) ? Avant, les lumières chatoyaient toute la nuit. Les ténèbres avaient totalement envahi cette terre chérie et ne plus rien reconnaître lui faisait mal au cœur. Enfin, pour le très peu dont elle se souvenait. Elle avait juste une image en tête. Une image gravée à partir du peu qu’elle avait pu entrapercevoir depuis la cours d’entraînement. Elle ne savait même plus si son enfance ou même son adolescence s’était faite à New-York. Helheim. Quel nom horrible, mortuaire, une promesse que leur vie ne pourrait jamais plus s’étendre avec les menaces qui rôdaient dans chaque coin de rue. Evitant les gravats pour suivre silencieusement sa proie du jour, la Léthée essayait de reconnaître ne serait-ce qu’un élément, un détail, n’importe quoi peu importe qu’il lui donnât la preuve qu’elle n’était pas dans un coma profond ou un cauchemar. L’humanité asservie. Quelle horreur. Ces Styx n’avaient vraiment rien de doux. En tous cas, sa toute première rencontre avec des soldats n’avait en rien démenti les dires de ces personnes qui s’étaient données pour mission de les aider… Qu’ils le veuillent ou pas. Ceci dit, il y en avait un dans le groupe qui l’agaçait prodigieusement… D’ailleurs, si elle avait été à sa place, nulle doute que jamais elle ne se serait vantée comme lui le faisait. Il basait sa pseudo autorité sur sa filiation. Imbécile. Pensait-il vraiment que tous avaient été volontaires comme lui ? Elle avait été trahie. Arya se souvenait très bien d’avoir vécu cette sensation désagréable le jour de son arrivée et franchement, la seule chose dont elle avait envie en voyant cette face de rat, c’était de lui poser la main dessus pour lui voler toute son énergie vitale. D’ailleurs en parlant de possibilité de meurtre, la jeune femme se préparait à toutes éventualités vis à vis de sa cible. Isolés du groupe, la chose pouvait être simple après tout. Il suffirait de dire que les Styx l’avaient eu. Ou pas. Alors qu’elle le suivait depuis plusieurs centaines de mètres, voilà que cet abruti venait de disparaître. Génial. Maintenant, elle était seule au milieu d’un carrefour. Le silence qui régnait avait quelque chose de glaçant. Frissonnant légèrement, Ariany s’immobilisa. Observant longuement les alentours, elle tentait de déterminer quel chemin il avait pu prendre. L’exercice n’avait rien de facile puisqu’aucune trace de pas, aucun son et surtout aucun mouvement n’était perceptible. Agacée, la jeune femme souffla. Être à découvert n’avait rien de plaisant. Kane s’approchait d’elle pourtant. Lorsqu’elle sentit un souffle d’air sur sa nuque, elle pivota en quelques microsecondes, prête à arracher la tête de celui ou celle qui se trouvait dans son dos. Reconnaissant le jeune homme, elle fronça les sourcils. Il avait inversé les rôles. Rusé pour un psychopathe… Enfin, on disait justement qu’ils étaient plutôt très intelligent… Ce n’était donc pas si surprenant que ça. Même si elle s’en voulait de s’être faite avoir comme ça. Les explications semblaient nécessaires mais alors qu’elle commençait à lui exposer sa théorie, deux soldats arrivaient dans leur direction. Et merde. Elle avait eu sa dose d’aventures pour ses premiers pas dans ce monde de brutes épaisses et de psychopathes. Arya le dépassa et commençait déjà à fuir. Oui, elle comptait plus sur sa vitesse que sur son don. Plantant là son compagnon d’infortune, elle commença à tourner dans plusieurs ruelles. Elle sourit malgré elle quand elle l’entendit crier que ce n’était pas fairplay. Fairplay ? Mais de quoi il parlait lui ?

- Fairplay ? C’est pas des bisounours !

Oui, ça justifiait assez sa fuite. Quant à l’attendre… Entre psychopathes, ils pouvaient peut-être bien s’entendre après tout… Oui, une réunion de psychopathes ne pouvaient que bien se passer tant qu’ils ne se mettaient pas à trois pour la torturer… Après avoir suffisamment changer de ruelles et ne percevant plus les cris des Styx qui les coursaient, elle trouva refuge dans un renfoncement. Reprenant son souffle, elle avait perdu son collègue de vue. Pourquoi se sentait-elle inquiète soudainement ? Sortant légèrement la tête pour voir si quelqu’un approchait, elle vit soudain le Léthé tomber devant elle.

- Des Styx, répondit-elle froidement.

Pourquoi il l’agressait franchement ? Elle était sur le point de revenir en arrière pour le sauver. Elle planta son regard dans le sien alors qu’il lui reprochait de ne pas l’avoir attendu ou même aidé. La jeune femme avait eu un aperçu de ce qu’ils étaient capables de faire et en souffrait encore. Soufflant, visiblement agacée et contrariée, elle releva une manche de son pull, dévoilant un hématome assez important.

- Ceux-là ont déjà du mal à partir… Je n’avais pas envie de m’y confronter à nouveau.

Elle ne l’avait montré à personne, pourtant Heather était au courant. Elle lui en avait parlé l’autre fois, sur le toit. Les choses n’avaient rien de simples. Elle rabaissa sa manche et fixa loin devant elle. Fière, elle venait pourtant de dévoiler une faiblesse. Une faiblesse que justement, elle n’aimait pas raconter. Il lui offrit sur un plateau un nouveau sujet de conversation. Ramenant son regard sur lui, elle le toisait ouvertement.

- Franchement, tu trouves ton comportement normal ? Tout le monde le pense ! Tu crois que les autres essaient de te parler pour quoi ? Faire joli ? Tu es tout le temps de ton côté, asocial… C’est bien une caractéristique des psychopathes non ? D’autant plus qu’on sait, enfin, on a une vague idée du recrutement qu’ils ont pu faire. Pourquoi pas un psychopathe ?

L’explication était logique. Arya allait entrer dans le détail quand un phénomène étrange commença à se produire. Les plaques de métal se mirent à vibrer violemment. L’une d’elle vint d’ailleurs s’écraser sur un mur et le réflexe de la jeune femme ne fut pas des plus intelligents. Elle s’agenouilla face à Kane et posa ses mains sur ses épaules.

- Respire lentement, lui murmura-t-elle.

Sauf qu’évidemment, quand vous êtes encore blessée et que vous touchiez un être vivant sans vraiment maîtriser votre propre don, vous aviez tendance à absorber son énergie vitale. Ses mains ne se décrochaient plus, resserrant leur prise autour de lui. La douleur à laquelle elle s’était habituée s’estompait au fur et mesure qu’elle aspirait son énergie. Au début, elle ne se rendit pas compte de ce qu’elle faisait. Elle sentait juste une énergie pure passer par ses mains et remonter vers son corps. La sensation était presque enivrante. Elle sentait chacune de ses cellules meurtries se régénérer, s’abreuver de cette fontaine de jouvence dont elle extirpait des mois, des années peut-être, de vie. Perdue dans des sensations nouvelles, elle réalisa soudain qu’elle était peut-être en train de le tuer. Rouvrant des yeux qu’elle avait oublié avoir fermés, elle comprit ce qu’elle faisait en regardant son vis-à-vis. Horrifiée, elle le lâcha, espérant qu’il ne soit pas trop tard… D’un autre côté… Il ne hurlait plus et ne menaçait plus de les faire repérer… Un mal pour un bien ? Oui. Il fallait mieux le voir ainsi…
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« YOU DON’T KNOW ANYTHING. »

Le bruit entendu n’était rien d’autre que ceux de deux Styx approchant droit vers eux. Le jeune homme n’eut pas le temps de tout saisir que la brune s’enfuyait déjà en courant. Au bout de quelques secondes de stupeur, le léthé se décida à la suivre mais elle avait déjà de l’avance. Maugréant dans la rue, l’attitude de la soit disant « protectrice » ne lui convint guère et pour cause, elle s’en allait sans crier gare ! La réponse d’Arya le fit souffler d’agacement, bien sûr que ce n’était pas des bisounours, il s’en doutait. Tournant la tête pour apercevoir les deux soldats, il perdit sa compagne de galère de vue, alors il y alla à l’instinct, ne remarquant même pas que sa vitesse avait augmentée bien plus qu’il n’aurait pu l’espérer. Après avoir failli se faire embrocher, il arriva quelque chose que Kane ne pu prévoir. En effet, persuadé qu’il ne bénéficiait d’aucune capacité spéciale, il fut bien surprit de voir la grille métallique qui lui bloquait le passage, s’envoler comme une vulgaire feuille de papier sous ses yeux ébahis. Celle-ci vint s’abattre sur les deux Styx pour les coincer définitivement. Le souffle coupé, il finit par arriver au bout d’une ruelle et s’effondra juste en face de la brune sans même s’en rendre compte. Lorsqu’il recula contre le mur, ce fut à ce moment là qu’il la vit, il l’avait rattrapé sans vraiment le savoir. Observant autour de lui, Kay inspectait chaque bruit qu’il pouvait entendre, stressé. Il ne s’était pas attendu à en croiser, et il n’avait surtout pas voulu en voir. Tout ça, c’était la faute de son vis-à-vis et de ses déductions à la noix !

Reprenant lentement son souffle, il finit par lâcher des paroles peu agréables. La réponse froide de la léthé l’agaça encore plus.

« Je sais que c’était des Styx merci ! Je parlais de cette prise de fuite complètement… ». La fin de sa phrase se termina en un grognement sourd alors qu’il passait sa main dans le bas de son dos, respirant longuement.

Enervé, il croisa les bras, toisant la jeune femme du regard de temps à autre. Le jeune Spencer la vit remonter ses manches qui laissaient entrevoir plusieurs bleus. Lèvres pincées il ne cilla même pas, les mots de la jeune femme ? Du vent. Soit, elle avait sauvé SA peau. Haussant les épaules, il détourna les yeux. Qu’était-il supposé répondre à cela ? Ce n’était que des bleus… Un énième réflexe militaire sans doute… Le léthé ne dit rien sur ce qu’elle venait de lui montrer, tout simplement parce qu’elle n’apprécierait sans doute pas les paroles qu’il dirait à ce sujet. Contrarié, il se souvint des mots qu’elle avait prononcé quelques minutes auparavant, le sujet actuel lui plaisant guère, il changea immédiatement de conversation, lui posant ses questions d’un air tout aussi peu aimable qu’avant. Il ne connaissait même pas son nom, et qui plus est, il pouvait d’ores et déjà avouer qu’il n’appréciait pas son caractère et sa répartie. Ils se rentraient dedans comme deux chiens enragés et Kane ne faisait rien pour arrêter ça, les nerfs à fleur de peau. A la réponse de la brune, l’ex militaire arqua un sourcil, on se serait cru dans une cours de récréation et les dires ne lui plurent pas. Qui était-elle pour juger alors qu’elle ne savait absolument rien de lui, et que lui-même ne savait rien ?

« Être asocial ne veut pas forcément dire être psychopathe. Si tu le penses c’est que tu as l’esprit bien étriqué. De toute façon, ça se voit à ton comportement aussi, tu agresses ! Qui m’a suivi ? Qui a hurlé sur tous les toits que j’étais sans doute un psychopathe. Qu’est ce que j’en sais moi ? Je n’ai AUCUNE réponse, alors toi t’en as peut-être, vas-y je t’écoute, sans doute as-tu lu mon dossier. Est-ce que toi-même tu sais exactement ce que tu es ? Ou étais… Peu importe. Pour commencer, je ne sais même pas ton nom, alors comment peux-tu avoir des préjugés sur les autres si tu ne sais rien de toi-même ! On est TOUS dans le même cas… Ou presque. J’ai le droit de le vivre un peu plus mal que les autres non ? ».

Kane n’avait jamais autant parlé depuis leur réveil et il ne s’était jamais autant énervé. Les paroles qui s’étaient échappées avaient été dites à chaud. Elle venait tout droit de ses interrogations, le tout s’entremêlait parce qu’il ne voyait toujours pas clair. Au fond, il n’avait peut-être pas tort, qui étaient-ils tous, pour se permettre de juger alors que rares étaient ceux qui se souvenaient de leur passé ? Pour appuyer ses dires, Law aurait pu, lui aussi, montrer les cicatrices qui ne faisaient que l’intriguer davantage, mais il ne le fit pas… Ca ne servirait à rien. Et de toute manière, il ignorait encore ce que cela signifiait. C’est alors qu’il se remit à angoisser et le même spectacle que précédemment se remis en route. Des plaques de métal postées non loin se mirent à vibrer dangereusement. Le son eut le don de faire paniquer l’amnésique qui n’était pas censé pouvoir faire ça. Se mettant les mains sur ses oreilles, il ferma les yeux, répétant inlassablement qu’il ne pouvait faire une chose pareilles, ce n’était pas lui, ce n’était pas possible. L’une des plaques vint s’abattre violemment contre le mur opposé et c’est à ce moment là qu’il sentit les mains d’Arya sur ses épaules. Les membres crispés, Kane essayait tant bien que mal de se calmer, lui, tout ce qu’il voulait, c’était sortir de ce cauchemar éveillé. Ce ne pouvait être vrai, à choisir il aurait préféré être mort. La voix de la jeune femme parvint difficilement jusqu’à ses tympans, et pour cause, le bruit n’était pas des plus doux. Dans son esprit, toutes sortes de questions voguaient : comment pouvait-il faire ça ? Que leur avaient-ils fait dans ce labo ? Et surtout… Comment il arrêtait ce truc ?

La prise de la jeune femme sur ses épaules se resserra, le poussant à rouvrir les yeux alors que les siens à elle se fermaient lentement. « Qu’est ce que tu fais ? ». Ne sachant pas si la jeune femme l’avait entendu ou non, le jeune homme voulu se dégager, mais entre sa capacité enclenchée et la prise d’Arya, il ne put pas faire grand-chose. Déjà il se sentait fatigué, vidé. Quelque chose de bizarre se produisait alors que le bruit ralentissait au fur et à mesure. La tête qui tourne et l’horrible sensation de perdre la vie s’insinuait lentement dans les veines de l’ancien militaire qui observait son vis-à-vis d’un air surpris. Sa respiration s’accéléra, tout comme son rythme cardiaque qui était déjà bien affolé depuis quelques minutes. Kane se sentait lentement partir dans un nouveau genre d’inconscience, c’était comme si l’on était en train de le droguer. Une sensation désagréable qu’il ne voulait pas revivre. Il s’accrochait, voulant rester éveillé, mais la douleur qui transperça son corps l’en empêcha. Ses paupières lourdes se fermèrent progressivement jusqu’à ce que son corps ne soit plus que détendu. Un simple pantin désarticulé. Penchant en sur le côté, Kane sombra dans l’inconscience. Le vacarme s’était arrêté au fur et à mesure que le léthé avait sombré… Ne régnait plus que le silence dans cette ruelle.

RIGHT. BUT DON'T BE SO RUDE.

La protection était une chose qui se méritait un minimum aux yeux de la jeune femme. Il était évident qu’elle devait avoir un minimum de compassion pour la personne qu’elle décidait de protéger et il était inutile de dire qu’elle n’en avait à priori pas pour un psychopathe. Sachant que les soldats les avaient repéré, elle poussa Kane à fuir pour deux raisons : la première étant qu’elle ne voulait pas risquer d’utiliser ses pouvoirs sur l’un d’eux, la seconde étant qu’elle restait quand même assez effrayée d’être confrontée si tôt à ce genre de monstres. La naïveté de son compagnon d’infortune la surprit mais elle n’avait pas le temps de s’appesantir sur des ressentis. Il fallait déjà sauver leurs peaux et ce n’était pas gagné s’il trainassait comme ça. Réfugiée dans le renfoncement d’un mur, elle reprenait difficilement son souffle. Elle entendit des bruits de métal qui semblait se fracasser sur le sol et n’en comprit pas l’origine sur le moment. Peu après, Kane la rejoignit enfin. Tout aussi essoufflé qu'elle, le regard noir qu'il lui lança jeta un froid. Si quelqu’un les avait vu, nul doute qu’il les aurait comparé à un vieux couple en train de se chamailler. La jeune femme n’avait certainement pas voulu croiser ces soldats. Tout ça, c’était de sa faute à lui ! Quelle idée d’aller se promener par-là ! Tout le monde leur avait dit d’éviter et lorsqu’elle l’avait tenté, malgré tous les avertissements, elle avait bien failli le regretter. Quelle idée aussi de le suivre juste au cas où une telle chose arrivait ! Maintenant, ils se retrouvaient à être pris en chasse par ces êtres inhumains. Mais ce qui lui déplût, ce fut l’attitude de Kane. La réponse désagréable qu’il lui fit l’agaça prodigieusement. Chacun d'eux était pour le moment effrayé de les voir surgir devant leur cachette. Il lui reprochait de fuir. Alors là, c'était vraiment à ne plus rien y comprendre. Elle se savait fonceuse et avait bien retenu la leçon. Voilà que cet abruti venait lui dire que non, fuir n'était pas une option acceptable. Quel égoïste! Et les autres alors ? Ils n'étaient pas encore suffisamment forts pour révéler leur existence à la face du monde. Il fallait protéger tous les autres. Dont les Trojans. Il y pensait à eux ? Oui bon, au fond, des Trojans, elle s'en préoccupait peu pour le moment. Mais ils restaient humains et victimes de ce monde qui n'était plus le leur.

- Oh, parce que tu préférais te mesurer à eux ? Personnellement, je ne me considère pas encore comme suffisamment entraînée pour oser affronter ces êtres. S'ils avaient réussi à attraper l'un de nous deux, notre groupe aurait été menacé mais aussi tous ceux qui nous couvrent.

Lui lançant un regard noir, elle se redressa contre le mur, la main posée sur son cœur dont le rythme effréné lui martelait la paume. La respiration haletante, elle posa ses yeux sur un point vide du mur et essayait de percevoir si les soldats avaient pu les suivre. Aucun son de leur parvenait. Le silence avait quelque chose de morbide et un très mauvais pressentiment continuait de la tarauder. Ce bruit métallique, c'était quoi? Reportant son attention sur Kane et malgré sa fierté, elle lui dévoila ses bleus. S'il ne comprenait pas que ces mecs déguisés étaient réellement dangereux, elle ne pouvait rien pour lui. Il n'avait qu'à se suicider et lui foutre la paix après tout. Reniflant, elle dégagea une mèche de cheveux qui lui barrait le front. Le combat était lancé. C'était à celui qui aurait le dernier mot. N'étant manifestement pas du genre à se taire, Arya répliquait à chaque phrase qu'il pouvait bien lui lancer. Haussant un sourcil alors qu'il reconnaissait être asocial, elle se fraya un chemin dans la faille qu'il venait de lui ouvrir. Le summum de sa patience fut atteint lorsqu'il insinua qu'elle était idiote et agressive. Qui avait commencé à faire des reproches ? Elle n'avait jamais eu l'intention de lui être désagréable! Son dossier ? Qu'est-ce qu'elle en avait à foutre des... Dossiers. Des dossiers montés par des connards qui lui avaient volé sa vie. Elle se sentait certes un peu diminuée de ne plus se souvenir mais à voir le passé de ceux qui savaient, valait sûrement mieux rester dans l'ignorance.

- Si je te pensais réellement psychopathe, je n'aurais pas essayé de te suivre dans l'espoir de te parler. Je t'aurais tuer et j'aurais simplement dit ne t'avoir jamais croisé. Mais franchement, c'est toi qui a commencé à être désagréable! Alors si ça ne te plaît pas que je prenne ce ton, tu n'as qu'à en changer aussi! Je ne suis pas ton exutoire ! Quant à ton dossier, j'en ai rien à foutre. Ni du mien d'ailleurs. On a manifestement tous un passé de merde alors à quoi ça sert de s'en souvenir si c'est pour en souffrir ? Je préfère me dire que si ça ne revient pas, c'est pour une raison : avoir la chance de vivre une vie où on peut choisir qui l'on est. Et contrairement à ce que tu crois, non, je n'ai pas hurlé sur tous les toits mes pensées te concernant.
Ben oui. Comment aurait-elle pu prétendre n'être en rien à l'origine de son meurtre s'il s'était avéré qu'elle avait eu raison? La jeune femme était explosive. Bien sûr, au fond, elle se questionnait aussi sur son passé. Le fuir était peut-être plus facile. Enfin pour le moment. Il y avait déjà tellement d'informations à assimiler sur ce monde qu'elle préférait ne pas plus s'embrouiller l'esprit.

Leur conversation fut interrompue par la capacité de Kane. Les yeux ronds comme des billes, Arya le vit faire voler des plaques de métal comme si ce n'était rien de plus facile que de faire voler un avion de papier. La peur qui se reflétait dans le langage corporel de l'homme en face d'elle eut finalement raison de sa volonté. Elle était incapable de ne pas aider une personne en détresse émotionnelle. Se rapprochant de lui, elle tenta de le calmer. Elle avait juste oublier un détail : elle ne pouvait pas toucher les autres sans risquer de les tuer. « Qu’est ce que tu fais ? ». Les mots ne lui parvinrent pas de manière claire. Arya lui volait déjà son énergie vitale. La sensation était si grisante qu'elle ne parvenait plus à le libérer de son emprise. Il ne dût son salut qu'à une fugace pensée. Elle tuait quelqu'un. Rouvrant les yeux, elle s'écarta brusquement de lui.

- Kane ?

Aucune réponse. Shit. Damn it. Qu'avait-elle fait? Horrifiée, elle pensa l'avoir réellement tué. Qu'allait-elle pouvoir faire? Etait-il seulement... Vraiment...Mort ? Arya se rapprocha et tenta de percevoir un signe de vie sur ce corps inconscient. Il respirait. Soulagée, elle se releva et observa les alentours. Elle ne pouvait clairement pas le ramener seule au camp. Ce serait bien trop dangereux. Le ciel s'obscurcissait de nuages noirs et particulièrement menaçants. Great. Les ruelles étaient désertes et aucun signe de vie nulle part. Sortant du renfoncement, elle marcha quelques mètres et tomba sur une porte à moitié ouverte. Il y avait eu de la violence ici. A défaut de mieux... Elle retourna près de Kane et le souleva par les bras en prenant garde de ne pas le toucher avant de le traîner. Le corps désarticulé lui semblait très lourd. Usant de toutes ses forces, elle l'amena vers l'abri de fortune qu'elle avait trouvé. De grosses gouttes de pluie commençaient à tomber lorsqu'elle leur fit atteindre l'abri. L'obscurité régnait dans la pièce où l'odeur poussiéreuse régnait. Le sol gris n'avait plus rien de faste et elle ne pouvait dire dans quoi ils étaient. Mais ils avaient un toit au dessus de la tête et c'était probablement le plus important. Se laissant glisser à terre contre un mur, elle tendit une jambe et posa sa tête sur le genoux replié. Elle ferma les yeux, les rouvrant de temps en temps lorsqu'elle pensait percevoir un bruit suspect. Il fallait qu'il se réveille et vite. Son ventre criait famine et il n'y avait rien à manger ici...