L'horloge sonna sept heures. Pelotonnée sur son oreiller, Arizona leva la tête. Sans se précipiter, elle laissa ses orteils se balader sur le plancher froid. D’un pas léger elle se dirigea vers sa coiffeuse, brossa sa chevelure blonde d’un peigne incrusté de nacre qu’elle avait dégoté parmi les ruines. Un vrai bijou. Une fois chaque mèche bien démêlée, elle se passa une fine chaîne au cou. Elle portait une robe couleur lilas brodée de quelques rares perles, seul vestige ou presque de son ancienne vie. Silencieuse, Blake observa son reflet dans le miroir. Elle ne se sentait pas elle-même. La jeune femme se secoua. Elle devait aller manger, les souvenirs voilés ça pouvait attendre. Une paire de sandales blanches aux pieds elle alla à la rencontre de sa porte, l’ouvrit puis la referma derrière elle. Arizona prit une grande inspiration, jeta un regard à son tatouage sur son bras, aux cicatrices que la lame aiguisée avait laissées. Elle se détourna aussitôt. Riza gagna la salle à manger en moins de cinq minutes. Là-bas, un groupe de Lethes & de certains Trojans l’attendait elle & un dénommé Kane pour entamer le repas. Si celui-ci n’était pas grandiose, il satisfaisait la blondie qui ne pouvait s’empêcher de saliver avec des morceaux de viande copieux en face d’elle. On patienta pour le retardataire plus de 20 minutes, & une fois le délai passé, on sépara les portions. On ne garda rien pour celui-ci qui ne s’était pas pointé. Peut-être avait-il trop mangé au midi… Mais, spectatrice de la situation un peu égoïste, Arizona se décida à garder la moitié de son bol de coté. Après le repas elle apporterait à Kane de quoi calmer sa faim. & puis s’il n’en voulait pas, rien n’empêchait Blake de manger le reste. On demanda pour la nourriture qu’elle n’avait pas avalée, mais la blonde répondait par le négatif, prétendait la garder pour une collation en soirée. Le reste du souper se déroula sans grandes actions. La demoiselle partagea quelques conversations polies mais, encore un peu réservée elle ne se sentait pas toujours très à l’aise. Elle appréciait la plupart des gens. Puis on commença à tirer les chaises, à ramener les ustensiles, les verres en cuisine. Ce soir elle n’avait pas corvée de vaisselle. Arizona vida un morceau de porc & une patate dans un bol propre, posa le sien dans l’évier. Elle quitta la salle commune sans un regard derrière, sans un au revoir. Comme si ça importait. Un plan en métal était apposé au mur du couloir. Chaque chambre avait été assignée à quelqu’un & les noms de ceux-ci gravés sur la carte des lieux. Blake laissa défiler les prénoms divers puis localisa un "Kane L. Spencer" dans une chambre au sud, éloignée des installations diverses pour le groupe mais assez proche du propre espace de Riza. La jeune femme regarda autour d’elle. Personne, mais un rire lui parvint de la cuisine. Un doux sourire au visage, elle parcouru la distance qui la séparait de la chambre de Kane. Elle ne l’avait jamais rencontré & se demandait bien à quoi il pouvait ressembler. Aussi, que pouvait bien être son pouvoir ? Curieuse, Arizona s’arrêta. Une grosse porte de métal brossé. Elle cogna trois fois à la porte. Elle recula d’un pas, son bol dans les mains, un visage doux & gentil se présentait à celui qui ouvrirait la porte.

« Qu’est ce que je fiche ici… »

Arizona braqua ses prunelles sur le morceau de métal brossé face à elle. Une porte qui lui semblait bien familière mais d’où, d’où. Où pouvait bien se situer une telle barrière, si froide, & si générique. Comme une prison, comme une… asile. L’asile. La blonde recula d’un pas sous le coup des souvenirs. Non, pas l’hôpital psychiatrique. Elle essaya d’oublier l’image qui venait de s’immiscer mais ça s’avérait bien difficile pour Riza. Si au moins il y avait réponse à l’une des milliers de questions dans sa tête. La première, pourquoi donc avait-elle été envoyée dans une asile ? Elle se pensait bien saine mais peut-être avait-elle une espèce de double personnalité, ou elle était dépressive ? Ça expliquait les coupures sur ses veines mais, pourquoi aujourd’hui n’éprouvait-elle aucune tristesse, pour qu'elle raison vouloir se suicider ? À quel âge pouvait-elle bien avoir intégré l’asile ? & sa famille, ses amis ? Des dizaines de questions sans réponses. Lasse de tourner & retourne ça, de se donner mal à la tête à essayer de souvenir, Blake dériva ses pensées sur les Trojans. Elle n’était pas certaine de pouvoir leur faire confiance. Elle ne connaissait rien de la nouvelle époque mais elle croyait pouvoir affirmer que le groupe de chercheurs ne semblait pas des plus apprécié par les Styx, la monarchie de New York. Encore un truc qu’elle ne saisissait pas. On ne leur disait presque rien, juste qu’il était préférable de ne pas s’approcher des Styx mais peut-être se trompait-elle, peut-être était-ce les Trojans qu’il fallait éviter, peut-être. Mais, en même temps, son pouvoir de détecteur de mensonges n’avait rien signalé. Leur intention ne pouvait donc être mauvaise… Embrouillée, Arizona passa une main dans ses cheveux. Un cliquetis la fit lever les yeux. La porte désormais ouverte laissait apparaître dans un mince faisceau lumineux un beau gars, qui semblait en dans sa jeune trentaine, mais pas plus de 35. Ça devait être Kane. Les cheveux bruns, un air sombre, surpris aussi. Il posa aussitôt son regard sur la gravure d’Aurora Borealis sur son bras. Elle baissa la tête. Était-ce une mauvaise chose ? Lui aussi faisait partie des leurs. Elle espéra qu’il ne demande rien à propos de son autre tatouage mais le jeune homme semblait préoccupé par autre chose : « C’est pour quoi ? ». Lorsqu’il lui parla, la blondie releva le menton, & remarqua enfin qu’il était torse nu. Elle fronça un peu les sourcils, son sourire diminua, un peu plus timide. Elle bafouilla : « Je… j’ai vu que… que… » Arizona inspira une grande bouffée d’air. Qu’avait-elle ? Elle n’avait jamais été quelqu’un de gêné. Elle se reprit enfin & continua, une moue déterminée au visage : « J’ai remarqué que tu n’étais pas là au repas commun. & puisque le groupe ne t’a rien gardé, j’ai séparé ma portion en deux, au cas ou tu aurais faim… Pas grand-chose, mais j’espère que ça suffira pour au moins te faire tenir jusqu’au déjeuner. » Elle lui fit un sourire de défi puis continua : « & celui-là je te conseille de pas le manquer, de vrais goinfres les Trojans… » Elle cessa de parler, sous le regard observateur de Kane. Elle ne savait trop le caractère du Lethes, aussi elle se contenta d’afficher un visage calme. Jusqu’ici il ne paraissait pas des plus sociables, mais bon. Qui refusait de la bouffe par ici ? Presque personne, elle se faisait parfois rare pour les exclus aussi on la considérait comme indispensable, à ne pas gaspiller. Arizona tendit le bol vers l’homme, allait-il l’accepter ? Elle resta là, immobile, à espérer qu’elle ne l’avait pas dérangé, ou même froissé. Elle pencha la tête, curieuse.

« On se connaît ? ». Simple question posée avec un ton assez froid, qui ne se voulait pas franchement amical. Toutefois, il ne fallait pas lui en vouloir, il vivait assez difficilement la situation. Rien ne le rassurait. Non pas qu’il soit peureux, au contraire, mais tout ce qui se trouvait autour d’eux, n’avait absolument rien de « normal » pour lui. « Je demande parce que ça me parait surprenant que quelqu’un s’inquiète pour moi, surtout après… Tout ce bordel. Donc… Est-ce qu’on se connaît ? ».

Le néon au dessus d’elle grésilla & Arizona retint son souffle. Puis, Kane recula dans sa chambre, comme pour l’inviter à entrer. Il n’avait toujours pas accepté la nourriture, aussi elle baissa le bras. D’un air incertain elle fit quelques pas vers l’intérieur pour aller se réfugier dans un coin vide de la pièce. Lorsque le brun referma la porte la jolie demoiselle se passa la langue sur les lèvres & plaça une mèche de cheveux derrière son oreille. Pour une seconde, alors qu’il enfilait son chandail, elle remarqua une grosse cicatrice sur le bas du dos, elle posa les yeux sur ses propres coupures, se demanda d’où venait la sienne. Mais elle n’osa pas rien demander. Riza observa en silence Kane prendre une chaise pour s’asseoir. Bonne idée. D’un pas rapide elle se dirigea vers le lit où elle occupa un minuscule carré d’étoffe. Ses yeux baissés sur le morceau de porc, elle l’observait comme si c’était la chose la plus intéressante du monde. Plus le moindre bruit. La blonde déglutit, & Kane prit enfin la parole. Le discours du jeune homme fit hausser les sourcils à Arizona qui releva les yeux, elle se mordilla la lèvre. La voix froide du Lethes la rendit soucieuse mais ce qu’il avait dit ne dénotait pas le moindre signe d’agressivité aussi elle se décida à répondre au lieu de filer en vitesse. Elle se montra impulsive & la réponse vint, simple mais honnête : « Ai-je besoin d’une raison pour penser aux autres ? ». Blake n’ajouta rien, elle se contenta de dévisager un peu le beau brun. Celui-ci posa son regard sur la fenêtre. La vision était apocalyptique. Le ciel noir comme dans un four, pas la moindre étoile ou presque. Des bâtiments ravagés, détruits, des voitures renversées au milieu de la rue. Était-ce vraiment dans ce monde qu’elle devrait vivre désormais ? L’expérience ne semblait pas des plus agréables. Le futur était plus qu’impossible à prédire & ne rien savoir du lendemain inquiétait la pauvre Lethes. Où était l’utilité de son pouvoir s’il ne pouvait même pas empêcher le pire de se produire ? Où était la justice là-dedans ? Où était la solution ? Riza tapota son genou, elle sentait monter en elle une vague de froide colère. Mais là n’était pas l’occasion. Même si d’un naturel caractériel, elle devait apprendre à se maîtriser. La voix neutre & logique de Kane la ramena à la réalité : « Je n’ai pas faim. Mais merci… » Non, non. Il mentait. Peut-être sans en prendre conscience, peut-être le faisait-il sans vouloir à mal. Mais il mentait. Son pouvoir le lui disait, sans appel. Arizona se crispa soudain. Elle détestait les mensonges. Mais celui-ci n’était pas mauvais, n’avait rien de gros. Elle ouvrit la bouche mais Kane l’interrompit dans son fil de pensées. Il lui proposait de la bière. Prise d’un soudain élan de je ne sais quoi, la blondie se leva, & marcha d’un pas déterminé vers le jeune homme. Elle lui mit le bol de bouffe dans la main, le força à le garder. Puis, elle se détourna de lui, s’empara d’une bouteille dans le mini frigo, la déboucha, en cala la moitié. Elle fit une pause, les yeux rivés sur Kane & revint enfin poser son cul sur le lit. La deuxième fois elle s’étala sur celui-ci, face vers le plafond. Elle laissa cinq minutes s’écouler puis articula d’une voix claire : « Tu mens. Alors mange sinon ça va devenir froid. » Pensive, elle garda les yeux rivés au plafond. Son visage avait repris l'habituel air doux & féminin.